On l'appelait ironiquement "la Mère Veille" (la mère qui veille), lorsqu'elle gémissait certaines nuits dans son fauteuil.
Ou plus méchamment "la Mère Vieille", à cause de ses rides hideuses.
La "Mère Vieille" était une de ces ombres décharnées issues de la fin du XIXième siècle qui ont traversé notre enfance et que plus tard nous évoquons avec une nostalgie mêlée d'horreur, nous la génération choyée née sous les ailes de l'opulence. Dans les années 1970, en effet, existaient encore de vraies reliques du siècle précédent -quasi centenaires- qui portaient en elles tout un monde révolu. Ces fossiles humains croupissaient dans les hospices : on pouvait les voir lors des sorties réglementaires aux abords de ces établissements de charité où ils avaient choisi -ou pas- de finir leurs jours.
Du plus loin que je me souvienne, ce fantôme continuellement agonisant dont j'ignorais d'ailleurs le véritable nom n'était qu'un pitoyable pantin de chair morte, une pauvre vieille femme sénile, une misérable rescapée de la tombe -laquelle semblait ne jamais parvenir à la happer parfaitement-, une morte-vivante oubliée du monde, reléguée dans un coin de l'hospice. Quand à cent ans et des poussières elle rendit l'âme, j'en avais dix.
Pour moi ce spectre catarrheux avait toujours été la "Mère Vieille" ou la "Mère Veille".
Je me ressouvenais mollement de ce triste oiseau de mon enfance, l'autre soir avant de m'endormir. Dans mon demi-sommeil je me demandais dans quelles limbes avait bien pu échouer cet être plein de misère, trente ans après sa mort... Je m'endormis sur ces pensées.
C'est alors que je fis un songe étrange : je partais à la recherche de la "Mère Vieille".
J'errais dans une nuit imaginaire pensant retrouver la vieille femme de mon enfance, quand un ange m'apparut. Je fus ébloui par son regard plein de force et de gloire. Son visage au sexe indéfini dégageait une noblesse inouïe. Il me demanda qui je cherchais aussi follement en plein rêve...
- Je cherche celle que l'on surnommait la "Mère Vieille" quand j'étais enfant. Qu'est devenue cette pauvre vieillarde malade dans l'autre monde ?
Éclatant dans son habit de lumière, l'ange me regardait toujours avec insistance, une flamme au front. Je répétai :
- Je cherche cet humain déshérité qu'on évoquait sans douceur jadis et que tout le monde a oublié aujourd'hui. Qu'est devenue cette pauvre âme ?
Sur ces mots l'ange dégagea un éclat de plus en plus intense.
Juste avant que je ne me réveille de ce songe troublant, dans un état de conscience suprême et fulgurant je saisis le sens et la profondeur de la réponse codée qu'il me fit :
- Je suis l'âme vermeille.
dimanche 20 mai 2007
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