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vendredi 15 mai 2009

841 - Aristocrate

Je me lève à l'heure où la plèbe sue sous le joug.

Je n'ai pas d'enfants car je déteste la gent pleurnicharde. Quatre chats que je chéris comme des petits dieux se partagent les faveurs de ma demeure glaciale. En effet, je souffre d'une avarice sordide et jamais je ne chauffe les murs où pendent les portraits ternis de mes ancêtres à la mine hautaine.

Je n'ai aucun ami, beaucoup d'amantes, peu de contacts avec la masse que je méprise ostensiblement.

Je hais particulièrement les chiens. Leurs aboiements blessent le ciel des esthètes auquel, définitivement, j'appartiens. Leur affection malodorante me dégoûte. Leurs moeurs sont une injure à la Beauté.

Je côtoie de loin le maire de ma ville, épie sournoisement mes voisins à l'aide d'un stéthoscope que je plaque contre le mur, étudie nocturnement leurs poubelles, fréquente irrégulièrement les lieux aqueux, me promène parfois en compagnie de Sélénée.

Je fais grand cas de ma particule, néglige l'entretien de mon carrosse motorisé, cherche des piécettes dans les caniveaux.

Je suis fort mal vêtu.

Cependant je conserve précieusement chez moi un onéreux costume cousu d'or.

Flamboyant.

Mais qui ne sert à rien.

Mes manies sont insupportables : je me mouche dans de la laine, postillonne à la face de mes rares interlocuteurs, fais volontairement du bruit en déglutissant du lait de chèvre.

Lorsque je dîne, je ne m'aperçois pas toujours que des restes d'aliments colorent de jaune ou de blanc ma lèvre supérieure selon que je viens d'absorber quelque omelette ou crème normande, voire sèchent contre ma joue gloutonne.

Quand je veille à la Lune je m'amuse de temps en temps à sonner aux portes de la roture entre deux heures et quatre heures du matin. Ma morale est celle des seigneurs.

Je suis supérieur de naissance. Grand par habitude. Immense en vieillissant.

5 commentaires:

  1. "Je suis supérieur de naissance."
    Vous mesurez combien ?

    "Grand par habitude."
    La routine affaiblit le cerveau...

    "Immense en vieillissant."
    Pensez à faire confectionner un cerceuil de votre vivant. On sait jamais !
    Si vous vous immensissez de trop, vous risquez de finir en poussière et gare à l'aspirateur de la ménagère...

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  2. Aristocrates ou plébéiens, grands ou petits, nous finirons tous en poussière ou grignotés par les vers. Je n'aimerais d'ailleurs pas être à la place des vers quand l'aristocrate sera mis en terre, il y a mieux comme nourriture terrestre. Ni à la place de ses amantes ! Je soupçonne que s'il en a beaucoup (à vérifier...), c'est que chacune ne doit pas tenir plus d'un soir : les baisers aux coulures d'omelette (c'est là que l'expression "omelette baveuse" prend tout son sens) et le parfum d'ambiance au pipi de chat ne doivent pas inciter beaucoup de femmes à envisager une relation prolongée avec ce genre de personnage. A part peut-être quelques clochardes avinées en manque de gîte et de couvert, pas très regardantes quant à la présentation de l'hôte et à l'ambiance du lieu.

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  3. "Pensez à faire confectionner un cerceuil de votre vivant. On sait jamais !"

    Je suggère le modèle "cercueil extensible" pour egos démesurés. Mais il n'a pas besoin d'un cercueil de son vivant : ça ferait double emploi avec sa demeure glaciale qui m'a l'air aussi accueillante et conviviale qu'un caveau mortuaire.

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  4. Cher Endymion, ne vous arrive-t-il pas aussi de vous promener en compagnie d'Onan?

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